A ceux qui me manquent le plus...
Alors que la fatigue guide mes activités journalières dans ce qui pourrait paraître comme une étrange sérénité,
j'accueille avec beaucoup de détachement les pensées qui se présentent à moi.
Peu à peu, les questions amènent la réflexion,
d'interrogations en réponses, mes idées m'apparaissent limpides...
Mon Papa, disparu depuis plus de 20 ans, ne me manque pas, il est là en moi...
Claude, mon beau-père, disparu depuis 7 ans, ne me manque pas, il est présent, dans mes pensées...
Mon grand-père paternel, que j'ai si peu connu mais qui m'a ému par ses espiègleries m'anime de sourires...
Je sais que toutes les personnes avec qui j'ai partagé des moments de vie, qu'ils soient longs, courts ou furtifs demeurent au travers de mes souvenirs.
Je sais qu'ils ne peuvent être là physiquement.
Pourquoi est ce que je devrais me torturer à vouloir l'impossible ?
L'esprit humain est bien fait, nous pouvons nous rappeler ce qui nous fait du bien !!!
Ce n'est pas une découverte pour moi. J'ai cette distance avec la mort depuis bien longtemps !
Je crois que cela vient du décès de mon cousin Joël, alors que je n'étais qu'une enfant.
A l'époque , je ne connaissais que très peu ce côté de la famille. Papa avait eu une enfance peu commune.
Une fois par an, pour la Toussaint (tradition oblige !), nous retournions sur les traces de sa jeunesse.
J'aimais l'entendre me conter les anecdotes et souvenirs de cette période.
Peu m'importaient déjà les cimetières, j'affectionnais ce moment privilégié où papa retraçait le chemin de son enfance. Je percevais sa souffrance quand avec beaucoup de pudeur, il nous dévoilait les histoires les plus cocasses. Enlevé à sa maman, élevé par sa marraine, il a connu le travail des champs, les horreurs de la guerre. Bon élève, il avait eu la sympathie de son instituteur qui avait réussi à lui faire passer son certificat d'étude primaire.
J'admirai ce qu'était devenu cet homme. Personne ne lui avait appris ce qu'était une famille, il n'avait pas connu l'amour de ses parents. Maman a connu la grossesse de mes frères ainés pendant le rude hiver 1956. Il a gravi les échelons à l'EDF et réussi à construire deux maisons. J'étais la dernière de ses quatre enfants.
La famille qu'il avait construite, le chemin qu'il a parcouru, ont illustré les valeurs qu'il nous a enseignées.
Du haut de mes quelques années, je comprenais que les histoires des grands pouvaient être parfois compliquées.
Je ne lui en ai pas voulu quand j'ai rencontré sa sœur dans le chagrin de la perte de Joël.
Mon cousin terminait ses études de médecine quand une fuite de gaz l'a emporté dans son sommeil.
Sa compagne, endormie sur le côté, en a réchappé de justesse avec quelques séquelles.
Avec ma tante "Gaby", je voyais la version féminine de Papa. Ce petit bout de femme, terrassée par la perte de son enfant, me parlait, me racontait leur vie que je n'avais pas connue... Mais aujourd'hui encore , je me souviens des mots précis qu'elle m'a dit : "Tu sais ma petite, on peut perdre un papa, une maman, un ami, c'est terrible !... c'est ainsi, c'est la vie mais il n'y a rien de pire que de perdre son enfant ! ".
Bien sûr, je pleure à la perte d'un être cher. A 20 ans, j'ai mis tout en œuvre pour accompagner Maman dans la maladie de Papa. Peu importe le chemin, j'étais là jusqu'à son dernier souffle.
Mon chagrin était grand et puis très vite j'ai rêvé de lui.
J'avais refusé toute prescription médicamenteuse pour m'aider à dormir, à passer ce "cap" , je savais que le "pansement" était en moi. Mon père, dans les pires difficultés, trouvait toujours une solution aux problèmes.
C'est ainsi qu'il a vécu, c'était ainsi qu'il m'avait éduqué, c'est ainsi qu'il me guide aujourd'hui...
J'avais 20 ans , j'ai compris à ce moment là que la mort n'est pas un "traumatisme", c'est simplement la dernière étape de la vie.
Elle arrive trop tôt, on n'a pas assez vécu, on a trop souffert, on a des regrets etc. ... On accuse la mort alors que "notre vie a un début et une fin, tout le reste, c'est ce qu'on en fait"...
Chacun a ses croyances, ses rituels par rapports aux défunts, je les comprends, je ne les juge pas.
Quelque soit le pansement, les conseils, nous sommes les acteurs de notre cicatrisation.
J'ai conscience que dans notre culture, dans notre société, mettre de tels mots sur un sujet aussi tabou déplaît, dérange. Beaucoup ne peuvent sans doute lire mes mots car cela les rends triste...J'ai eu de la tristesse, j'en aurai encore... mais en écrivant mes pensées, mes réflexions, je ne le suis pas. Ceux qui arrivent à accueillir leurs émotions avec sérénité, pourront même voir les sourires esquissés !!!
Voilà pourquoi ce ne sont pas "mes défunts" qui me manquent...
Ce sont les "vivants" qui me manquent, Ils me manquent,
parce que je les aime,
parce que j'apprécie leur présence, leur courage, leurs valeurs ...
parce que leurs discussions m'apaisent, m'enrichissent...
parce que leur bonne humeur est fraîcheur
Ils me manquent
parce que je ne peux les voir comme j'aimerai
parce qu'ils ont leur vie, leur famille
parce que nos vies sont différentes
parce qu'il est plus facile de juger que de comprendre ou simplement accepter les différences d'opinion,
parce qu' il est difficile de dire les choses que l'on ressent, parce qu'on a peur de déranger, de blesser,
parce qu'ils n'ont pas envie, besoin ou ne sont pas prêts à recevoir l'affection que je voudrais leur donner
Ils me manquent parce que je sais que ces petits moments privilégiés que nous accorde la vie ne dépendent que de nous.
Je ne peux les forcer à m'aimer, ils ne peuvent m'empêcher de les aimer...
Alors , pudiquement je m'efface, j'accepte ce manque qui n'amoindrit pas mes sentiments
mais me laisse en paix avec mes frustrations.
Comme disait Tata Gaby, "c'est ainsi, c'est la vie !"